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démo des maux
11 avril 2008

La poule et le poulpe

poulepoulpe

Voici une histoire qui ne manque pas de sel et s'inscrit (pour une fois) dans la réalité (une certaine forme de...). Il y est finalement question d'un amour qui marche sur des braises et finit par se consumer lentement mais sûrement. L'amour nous aide à vivre - mais à mourir un petit peu.

La poule et le poulpe

« Entre les lèvres du baiser, la vitre de la solitude ».

Roger Gilbert-Lecomte

            Tous ces jurés sont des cons. Je n’ai jamais eu de respect pour les gens du peuple, et aujourd’hui encore moins qu’hier. Où va cette république qui permet à des idiots de prendre la parole et de juger un homme ? Qu’elle aille où elle veut après tout, je m’en fous. Tout ce qu’ils connaissent de ma vie, c’est un zéro pointé et ce que les journaux ont pu cracher : des saletés, des histoires pas possibles où je ne tenais jamais mon rôle. Je sais qu’il me sera assez difficile de prouver que je ne suis pas qu’un salaud qui mérite la prison, mais je suis encore le mieux placé pour vous raconter mon histoire. Il ne tient qu’à vous d’être moins débiles que ces tortionnaires, de m’écouter et surtout, de penser à ce que vous auriez fait à ma place.

Quand je suis arrivé dans la salle d’audience, j’étais tranquille, je reconnaissais deux, trois voisins assis sur les bancs que j’ai salué de la main et quelques connaissances… puis j’ai cherché Hélène des yeux, mais je l’ai pas trouvé. La salope, c’est elle qui me colle un procès au cul et elle est même pas là le jour de ma défaite ! C’est vrai que la Princesse s’était fait représenter par son avocat, une espèce de connard aux cheveux bouclés, trente-cinq ans à peine, la chemise blanche bien repassée qui sort du complet noir… rien que de la merde sur un blanc d’œuf. Le procès a duré trois ou quatre heures, pas plus, puis le verdict est tombé. Blam ! j’ai été condamné à trois ans de réclusion criminelle sans sursis pour violence conjugale. Attendez voir ! A leurs yeux, je suis un criminel de la pire espèce simplement parce que j’ai battu ma femme, à plusieurs reprises. Je ne nie pas, je ne renie rien d’ailleurs, c’est contre mes principes. Je vous le demande à vous, qui me lisez : la liberté de la femme, c’est pas vrai qu’elle commence là où celle de l’homme commence également ? Un couple, ça marche le temps que ça marche, c’est comme une pile Duracell… et quand c’est fini, c’est vraiment plus la peine d’aller jouer de la gratte en plein hiver sous une fenêtre à double vitrage : déjà l’autre, elle entend que dalle et toi, tu te gèles les couilles devant l’interphone, c’est vraiment trop con. J’ai l’air de me foutre de tout et ça vous emmerde mais c’est de ma vie dont il est question, alors je fais ce que je veux.

            Hélène était tellement belle que… j’avais honte parfois de sortir avec elle, au début surtout. C’était un crime d’être aussi bien foutue, avec un corps, je vous en parle même pas, fait pour l’amour, c’est tout. Les rares fois où nous sommes sortis au resto, c’était toujours le même cirque, tous les mecs se retournant sur son passage, la dévorant des yeux avant de reporter leur regard bouffi de vice soit sur leur stupide femme qui tirait une tronche d’un mètre de haut, soit sur moi… et je vous jure, j’étais fier de voir l’effet qu’elle produisait sur les autres et j’arrêtais pas de gamberger, d’imaginer ce qui pouvait bien passer par la tête de ces vicelards quand ils me voyaient à ses côtés. On s’était connus tous les deux au lycée, au début de la seconde ; j’avais déjà redoublé deux fois, j’étais de loin le plus vieux de la classe et toutes les filles étaient amoureuses de moi… comme on aime à quinze, seize ans. Avec le recul, je me dis que le seul avantage d’être un cancre, un redoublant, c’est d’inspirer à la fois du respect et de l’envie de la part des plus jeunes. Comme j’avais déjà appris à dire merde, à m’esquiver avant la fin des cours pour fumer dans les couloirs, j’étais devenu à leurs yeux, en quelques mois, le mauvais garçon rebelle qui les excitait. On a continué à se fréquenter jusqu’à sa majorité et le soir où je l’ai dépucelé, elle a eu cette remarque formidable : « J’attendais ça depuis deux ans, pardonne-moi de t’avoir fait attendre ». Six mois après, nous avons décidé de vivre ensemble, d’habiter sous le même toit, elle y tenait tant. Et deux ou trois ans plus tard, j’ai été viré de mon boulot de gardien d’hôtel. Et alors… les Assedic, quelques tafs au black puis la soirée avec Boris, un pote du bahut qui était venu bouffer à la maison. Je m’en souviens bien de cette soirée, je suis vraiment pas prêt de l’oublier. Hélène nous avait servi un gratin dauphinois avec une scarole et du chèvre, et nous on s’était torché avec trois bouteilles de Brouilly. Après le café, je l’ai raccompagné au métro, et ce con, il a rien trouvé de plus malin à me dire que j’avais qu’à prostituer ma femme pour me sortir de ma merde. Il me l’a pas dit de cette façon mais c’était le sens ; il m’a juste avoué qu’il connaissait des types qui auraient craché au moins mille balles pour la baiser. J’ai fait un long détour avant de rentrer, j’avais la tête à l’envers, envie de vomir et de réfléchir, et quand je suis arrivé dans la chambre, Hélène dormait déjà. J’ai pensé à lui faire l’amour, histoire de conjurer le mauvais sort, la pénétrer doucement dans son sommeil et jouir avec elle mais je bandais pas, j’étais froid. C’était la première fois. Je me suis assis sur le lit, j’ai tiré le drap et en la regardant, en matant son cul et ses seins, j’ai commencé à échafauder un plan.

Cet avocat de mes fesses prétend que j’ai abusé moralement et sexuellement d’Hélène. Qu’est-ce qu’il en sait ? Il n’est qu’un avocat, rien qu’un putain de fruit verdâtre qu’on achète pour cinquante centimes au marché Dejean, et guère plus qu’un simple perroquet capable de régurgiter ses phrases toutes faites. Il a levé les mains en l’air en récitant son discours, citant à la queue leu leu des articles du code pénal, civil, mental, psychique… On aurait dit qu’il pissait ses sermons comme un irlandais ses Guiness dans les chiottes, ça n’arrêtait pas de couler ! A un moment, comme il reprenait à la fois sa respiration et le cours de sa phrase, j’ai ouvert ma grande gueule, lui demandant simplement d’où il connaissait ma femme, s’il avait été témoin à notre mariage et s’il bitait quoi que ce soit à la passion amoureuse. Sur ce coup là, je me suis mis le public dans la poche mais ça n’a pas duré longtemps. Il est revenu à l’attaque, tel un pittbull dans un jardin d’enfants à la recherche de nourriture, et comme le juge tapait avec son petit marteau sur le bureau, j’ai laissé pisser.

La conseillère de l’ANPE m’a regardé avec ses yeux d’épagneul empaillé mais quand je lui ai montré la carte classieuse de la société de Jérémie, elle a signé en bas et fermé sa gueule. J’étais bon pour la formation. Pour réussir dans la vie, y a pas de miracles, tu as des amis et tu t’en sors ou tu es seul et tu galères. J’ai réussi à louer un ordinateur avec un modem et une webcam et j’ai fait toute une série de photos d’Hélène à poil, dans toutes les positions et sous toutes les coutures, comme on dit. Elle n’a jamais été pudique, c’était pas un problème pour elle de tout montrer, et j’ai réalisé plusieurs clichés où elle me suçait et où nous baisions, ça changeait un peu, c’était plus vivant. Il m’a quand même fallu trois semaines pour connaître l’ordinateur, Internet et tous les logiciels qui vont avec. J’avais déjà ma petite idée derrière la tête en créant le site, et quand j’ai vu que le compteur de visites n’arrêtait pas de tourner et les e-mails d’arriver, j’ai compris que le poisson était ferré, qu’il avait la gaule et qu’il suffisait de le faire remonter à la surface. Au début, Hélène ne voyait pas très bien où je voulais en venir à inviter à la maison « les visiteurs d’Internet », comme elle les appelait. Elle trouvait cette idée étrange mais elle était prête à faire n’importe quoi pour moi, car elle connaissait mes difficultés à trouver un boulot. Elle ne savait pas encore ce qui l’attendait, mais je lui ai juré que tout irait bien mieux après. J’ai commencé doucement en installant un miroir sans teint sur le mur qui donnait sur notre chambre. Hélène n’avait pas grand chose à faire, juste se désaper lascivement, caresser ses seins, sa chatte tout en se rapprochant de la glace derrière laquelle, dans un réduit que j’avais aménagé pour la circonstance, le client la matait. J’avais installé la même machine à sous que celle qu’on trouve dans les sex-shops, reliée au circuit électrique, chaque pièce de deux euros enfilée dans la fente rallumant la lumière pour cinq nouvelles minutes de bonheur. La grande différence, c’était qu’on n’était pas dans un sex-shop qui puait le sperme, qu’il y avait des mouchoirs en papier à disposition, un fauteuil en cuir et les cinq premières minutes offertes. Tout ce cirque a duré trois ou quatre mois, mais j’en ai eu marre vite fait ; entre les éjaculateurs précoces, les radins et tous ces pervers qui se branlaient dans le noir contre le verre ou cognaient au carreau en hurlant des saloperies, je perdais presque autant d’argent que j’en gagnais.

J’ai tout laissé tomber pendant trois semaines, emprunté discrètement dix mille balles à Bruno et on s’est payé quinze jours de vacances en Corse. Hélène était aux anges, elle était fière de moi, de ma réussite, on baisait matin et soir et on s’est même marié dans une église pas très loin de Calvi. Je dormais peu la nuit, récupérant la journée sur le sable pendant qu’elle se baignait… et chaque soir, au moment du repas, je la travaillais au corps. Je cacherais pas qu’on a eu quelques scènes houleuses au début, Hélène quittant la pièce précipitamment et s’en allant marcher sur la plage puis revenant dix ou quinze minutes plus tard dans la cuisine où je l’attendais, sirotant un pastis, et se jetant à mon cou en pleurant. Dans ces moments-là, je me traitais de salaud, mais le lendemain, tout était oublié ; j’avais goûté au fric facile et c’était devenu une drogue dont je ne voulais pas me passer. Soir après soir, le poison que je lui injectais infectait ses veines et la veille du départ, c’était gagné. On est rentré début septembre, j’ai repris mes petites affaires, enrichissant le site d’une nouvelle galerie de photos et de plusieurs vidéos. Quand j’ai ouvert la messagerie, il y avait plus d’une centaines de messages et j’ai passé toute la nuit à y répondre, écoutant en boucle une chanson des Sparklehorse : « Someday, I will treat you good ». Etait-ce une promesse ou un signe avant-coureur de mon avenir ? Peu importe, c’était une chanson de circonstance.

Je me souviens bien du premier client qui est venu à l’appartement, son pseudo était Titty, parce qu’il était dingue des gros seins. Il avait la vieille cinquantaine et c’est vrai qu’il avait l’air de pas avoir baisé depuis dix ans. Quand il est arrivé, je lui ai déballé les tarifs : 50 pour une branlette, 100 pour une pipe et 200 pour la baise avec capote. Et le con, il a craché les biffetons l’un après l’autre. J’en revenais pas de voir tout ce fric sortir d’un portefeuille, presque la moitié de mon salaire de rmiste ! J’avais été un peu échaudé par le nombre de vicieux qui utilisaient le réseau pour se vidanger le poireau et j’assistais à tous les ébats sexuels dans le réduit, prêt à intervenir à la moindre incartade. Mais il n’y a pas eu de dérapage, la plupart des types étaient trop heureux de pouvoir arroser cette belle plante qui s’offrait à eux sans réserves. Au bout d’une quinzaine de jours, j’ai pu rembourser Bruno et mettre un peu de blé de côté. Généralement, il y avait deux ou trois clients par jour, à 500 euros la journée, le tout multiplié par vingt-cinq, on s’en sortait très bien. On se payait les meilleurs restaurants de Paris, les plus grands crus, des soirées au théâtre et à l’Opéra où je m’emmerdais, mais ça nous faisait plaisir d’être assis au premier rang. Je me souviens plus combien j’en ai vu défiler, presque la queue à la main… plus d’un millier. Ca a duré cinq ans comme ça, la vie était belle, je ne prenais plus le métro et dans le taxi j’étais le roi. Chaque jour je m’achetais des CD, des DVD et des bouteilles de Cognac que j’éclusais tranquillement, Hélène allait chez l’esthéticienne et au Printemps trois fois par semaine.

             Ce qu’il y a de chiant avec l’oisiveté, c’est que les journées semblent plus longues. Les premières années, tout va très bien, on fait tout ce qu’on n’a pas eu l’occasion de faire avant, on s’amuse mais à un moment, comme les semaines passent, on se rend vite compte que ça ne mène à rien et qu’on tourne en rond. J’avais déjà appris à boire mais j’ai passé sans problèmes le diplôme d’alcoolique patenté puis tenté par de nouvelles expériences stupéfiantes, j’ai commencé à prendre de la coke. Avec le recul, je me dis que je devais souffrir de l’ennui. J’étais incapable d’assumer complètement cette nouvelle vie qui s’offrait à moi et j’ai cherché à dissiper ce spleen dans les shoots délétères de la drogue. Il faut croire que tout était trop beau pour durer éternellement. Il m’arrivait même parfois d’avoir envie de me branler en surveillant Hélène qui s’envoyait en l’air avec un inconnu. Et c’est sûr qu’elle en a eu marre, à un moment. C’est un régulier, qui s’était pris de passion pour elle et lui offrait des livres à chaque nouvelle rencontre, qui m’a fait remarquer qu’il n’aimait pas tellement les femmes qui avaient des bleus sur le corps, mais je l’ai envoyé se faire foutre. Je ne la battais pas souvent pourtant, moins d’une fois par semaine – contrairement à ce que prétend son avocat, et jamais sur la figure… ou alors, c’est qu’elle bougeait. Je la cognais juste quand j’étais fatigué de la baiser, quand l’alcool ou la dope, ou les deux ensemble, se mélangeaient dans ma tête et me faisaient voir la vie différemment. Et c’est ce que je vais leur raconter à ces cons de jurés.

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