Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
démo des maux
19 janvier 2008

Le factotum chimérique

pigeon

Une autre nouvelle extraite du recueil "Vies et gloires du phénoménal Aristide Mulet". Régalez-vous !

Le factotum chimérique

« Son domestique et lui étaient si unis, chacun dépendait à ce point de l’autre qu’on aurait pu les nommer un quadrupède. L’homme marié quadrupède ».

In Aphorismes de Georg Lichtenberg

D’après une idée de Nathaniel Hawthorne

            

           Lorsque ce matin-là, Aristide Mulet relut pour la quatrième fois d’affilée la lettre sibylline de maître Lentourloupe, notaire de la famille qui l’invitait à se rendre en ce jour à son bureau pour y entendre lecture d’un testament le concernant, il ne lui vint toujours pas à l’esprit que feu son cousin Honorin Mulet lui était parfaitement inconnu. Il ne se souvenait pas que son oncle Antonin ait eu un fils, encore moins un rejeton cousu d’or, s’il fallait en croire la dernière adresse du mort : « 3, square Cekilfo, Paris 16ème ». Ce ne fut qu’après en avoir discutaillé avec sa tendre moitié, toujours de bon conseil qu’il réalisa qu’il venait d’hériter. Il est vrai que du côté de sa femme, Myrtille Mulet, le peu d’arbres qui avaient daigné pousser dans le jardin familial n’avaient jamais donné de fruits. « Un bonsaï ne donne pas de pommes », se plaisait-il à répéter.

            Or Aristide, désargenté jusqu’au dernier billet à ordre, le désir de jouer, pour de vrai, au backgammon avec pour toutes connaissances des règles du jeu celles du jeu de dames, déjà incomprises, ayant été plus fort que tout – « C’est mon opium, c’est mon vice… » hurlait-il au plus grave de l’hypothèque sur son appartement -, Aristide, qui ne reconnaissait à la pauvreté qu’un seul désagrément véritable, celui de manquer d’argent, Aristide enfin, décida de redorer le blason de sa confiance en la Providence et s’en fut au domicile du tabellion, rue du Satrape-Nigaud.

- Entrez donc, M. Mulet, et prenez place. Je ne vous ferais pas languir davantage. Mulet avisa un fauteuil en cuir de buffle vis à vis du bureau en Formica orange et se laissa choir. Je suis chargé, reprit l’homme de loi, en vertu des droits qui me sont conférés, de procéder à l’ouverture du testament d’Honorin Jules Amédée Mulet, fils de… et de… Votre cousin en ligne directe, décédé dans les affreuses circonstances que nous savons. A ces paroles hermétiques, « supramuletiennes », le notaire décacheta une enveloppe, ajustant d’un même mouvement habitué une paire de besicles juste sur l’arête d’un nez strié de blanc au milieu du chamallow de l’ensemble.

            - Je vous demande pardon Monsieur, minauda Mulet, mais il y a encore deux jours, vous savez, j’ignorais jusqu’à l’existence de ce cousin. Aristide, mal à l’aise, s’agitait sur son siège tel Culbuto, oublieux des convenances et des bruits désagréables que le contact imposant de son corps sur le cuir entraînait à sa suite. Ce matin, pendant le café, j’en parlais à ma Myrtille et elle était aussi étonnée que je le suis au jour d’aujourd’hui... et en plus, je ne savais même pas qu’il était malade.

            - Je ne sais pas qui est le plus malade ici, souffla à part lui le notaire, désorienté… Parlez à une myrtille, en confiture ou en gelée déjà ? Pourquoi pas à un artichaut ou une fourchette pendant qu’on y est ? Depuis vingt longues années qu’il exerçait son métier, Vivien Lentourloupe avait rencontré quantité d’individus prêts à tout pour récupérer un illusoire et providentiel pécule, quelques veuves heureuses, deux, trois assassins sans scrupules, quelques enfants éplorés mais de mémoire de notaire, il n’avait jamais fréquenté de monomaniaque.

******

Honorin Mulet ressemblait à n’importe qui, l’archétype du quidam que l’on croise dans la rue et qu’on ne regarde même plus, tant il semble faire partie du décor au même titre que les lampadaires et les abribus. En vérité, un simple parisien gras et inoffensif, d’un âge incertain – mais approchant tout de même la soixantaine bien racée - ne supportant plus le bus et trop claustrophobe pour prendre le métro. Aussi combatif qu’un loukoum déjà mâché, il était cependant différent de ses congénères sur deux points dont il n’avait, évidemment pas conscience. D’une part, il ne se connaissait aucun ami, nul ennemi non plus d’ailleurs, quelques voisins seulement qu’il ne fréquentait toujours pas après trente-deux années de vie commune. Il avait souvent imaginé faire leur connaissance, dans l’ascenseur ou devant sa boîte aux lettres, régulièrement vide – et où il lui arrivait parfois de se planter tel un chêne séculaire plusieurs minutes sans discontinuer, dans l’attente d’un miracle - mais l’occasion ne s’était jamais présentée. Elu par les dieux pour faire douter l’humanité de la religion (car il est dit quelque part, et à plusieurs reprises que « Dieu a fait l’homme à son image »), il était de plus le genre d’homme qui, débarquant à l’improviste au beau milieu d’une pièce, ne peut s’empêcher de faire sourdre les rires et les quolibets. D’un naturel si commun, si fade, lénifiant l’atmosphère de sa simple présence, aussitôt qu’il surgissait, chacun avait l’air d’être différent, unique – et on se prenait alors à glorifier l’artificiel, le virtuel et à encenser l’eugénisme. Son visage, il est vrai, ne présentait aucun signe distinctif d’une quelconque, même lointaine appartenance à ce qu’il est convenu d’appeler l’humanité ; ressemblant vaguement à une grimace, et encore, de loin, de profil, par une nuit sans lune, son faciès de guimauve avait de quoi vous dégoûter d’être né. Pour en terminer avec lui, rappelons à ceux qui ont eu la malchance de le pratiquer qu’il était riche, immensément riche, dilapidant au compte-gouttes la fortune du père qui avait déloyalement réussi dans la betterave.

            Du haut de ses cinquante-neuf ans et de son mètre soixante-huit, Honorin dominait un monde… de cloportes. Il témoignait d’un tel amour pour la vie qu’avec lui, le suicide aurait gagné à être remboursé par la sécurité sociale. L’immeuble où il tuait ses horribles journées, avec son entrée chic, bien dans le style palace parisien, était cossu et lumineux, sans aucun charme… et l’appartement, d’une même veine mélodique : une moquette beige et épaisse qui recouvrait planchers et murs de chaque pièce et abritait une colonie d’acariens obèses, une collection de meubles en bois bon à brûler, un aquarium où quatre ou cinq poissons rouges se morfondaient d’ennui en attendant la délivrance, maudissant leur destin d’édentés qui les empêchaient de s’entre-déchirer.

La vie nous réserve toutes sortes de surprises, des bonnes comme des mauvaises. Aussi, quand elle accède à nos désirs les plus dingues, imprime dans notre cœur en mal de sensations fortes une page entière de nos plus sordides cauchemars, sur laquelle apparaît distinctement le nom de Mulet, en tête de liste, elle nous réjouit d’une façon qui n’est pas sans évoquer notre première ivresse. Quelque chose tarabustait Honorin, et cette chose bizarre le mettait dans tous les états et lui portait même sur les nerfs : il s’ennuyait. De nos jours, dans d’autres milieux, on aurait même dit qu’il se faisait royalement chier. Il était pourtant du genre facile à contenter, ayant à peu près autant de goûts qu’un cyclope n’a d’yeux, un idéal masculin en inaction ! Mais, à moins de faire accoucher de force une femme au troisième mois de sa grossesse involontaire, je ne vois pas quelle Dalila aurait aimé s’acoquiner avec ce Samson de la pire espèce, chevelu comme un œuf et le cerveau itou.

Et pourtant, il lui aurait simplement plu d’avoir un gardien irascible mais prêt à rendre service, auquel il aurait pu faire des remontrances, plutôt que ce majordome obséquieux qui finissait toutes ces phrases par : « Très certainement Monsieur Mulet ». Parfois, dans ses rêves les plus fous - auxquels il ne comprenait toujours rien, n’ayant qu’une très lointaine expérience de l’intelligence - il imaginait son ascenseur en panne et couvert de graffitis, histoire de lire autre chose que Réponse à tout. Honorin avait d’ailleurs contracté, il y a quelques années une inavouable passion pour la lecture de ces maximes anonymes qui ornent certains endroits bien choisis, à tel point qu’il ne fréquentait plus les cafés que pour se rendre dans les toilettes ; et à ce jour il n’avait jamais osé pénétrer chez les femmes, où pensait-il, devait s’écrire une toute autre littérature. Il avait failli renoncer à sa lubie le jour où il avait lu une étude très sérieuse dans la revue sciences et nature à laquelle il était abonné depuis vingt six longues années et qui révélait qu’un bocal de cacahuètes contenait, après analyses, 14 urines différentes.

            A l’âge où seuls quelques retardataires encroûtés du cervelet font mine de ne rien comprendre, il regrettait parfois de ne pas avoir d’héritier, de ne pouvoir laisser quelque chose derrière lui, même aussi vague qu’un souvenir ou un nom de famille. Un enfant aurait pu donner un semblant de sens à sa vie, lui dire « papa », perpétuer son histoire… Un gosse aurait changé tellement de choses ! Ce qui le peinait le plus, finalement, c’était l’idée que sa mort n’affligerait personne : il crèverait comme il avait vécu, dans l’indifférence.

Et c’est il y a environ trois semaines que parût l’annonce de son décès dans la rubrique nécrologique de son journal préféré.

******

- Vous êtes, cher Aristide, reprit le notaire, l’unique héritier du client que je représente et, à part quelques donations par-ci par-là, une centaine de milliers de francs à la Société de Protection des Amibes, une autre centaine à la Société de Destruction des Amibes – il y en a huit en tout, Monsieur votre cousin était un grand philanthrope -, à part ces dons en espèce, tout vous revient de droit.

- Mon cousin Honorin était on ne peut plus prospère, articula Aristide. Cela m’étonne moins maintenant… et ma Myrtille qui me jurait le contraire, ce matin encore.

            - Qu’est-ce qui vous étonne moins, Monsieur Mulet ?

- Ben ! Qu’il n’ait pas fait plus souvent appel à moi.

- Ah, je vois ! Mais soyez sans crainte, tout est indiqué là, continua Lentourloupe, pointant quelques pattes de mouche sur le papier avec son Waterman. Si vous le voulez bien, je vais maintenant vous donner lecture des dernières dispositions…

- Donnez, donnez… clama Aristide, je suis une ouïe.

            - Les dernières dispositions, donc, de votre aïeul : « Je soussigné, Honorin Jules Amédée Mulet, fils de moi-même et de soi-même, sain de corps et des prix, déclare léguer tous mes biens à mon cousin Aristide Ferdinand Amédée Mulet, à l’exception de… Cela ne vous soucie pas de méconnaître les appellations et autres raisons sociales des diverses « organismes » que votre cousin a généreusement arraché du cul-de-basse-fosse où la faillite les avait entraîné par ignorance des sacro-saintes lois de la comptabilité…

            - Non, pensez-vous ! ne nous attardons pas sur des béquilles, hennit le Mulet.

- Vous avez raison, Cher Aristide, passons aux choses sérieuses.

…………………………………….

- Ainsi, en ce qui vous concerne, le legs prévoit cette clause, entérinée par mes soins. Le légataire, c’est à dire vous, s’engage à respecter ce contrat de la première à la dernière ligne. Ce qui, en langage clair signifie que le présent règlement implique l’acceptation en bonne et due forme des articles précédents et des clauses éventuelles qui pourraient s’y rapporter et qui sont toutes indiquées dans le document que je vais maintenant vous remettre en main propre.

            - Je comprends, affirma sans honte Aristide. Soit je prends le tout, soit je n’ai rien.

            - Tout ceci est rigoureusement exact, acquiesça le notaire. Mais veuillez m’excuser, notre entretien a duré plus longtemps que je ne l’avais prévu et il me faut partir d’urgence.

Encore étourdi et seul avec ses pensées comme il ne l’avait jamais vraiment été, Aristide n’entendit même pas la porte claquer derrière lui, et il fallut l’intervention musclée de la secrétaire pour le sortir de sa torpeur. Il se leva à son tour et d’un moulinet de son bras, gagna la porte. Dehors, le ciel était comme à son habitude, d’un bleu tourmenté par les passions nuageuses.

******

            Myrtille Mulet attendait son lunatique mari de pied ferme, le rouleau à pâtisserie dans une main et un livre de cuisine dans l’autre. Elle était inquiète, si tant est qu’une femme de cette trempe puisse réagir à des émotions purement humaines. Elle se disait qu’il avait dû se passer quelque chose d’extraordinaire, quelque chose de si fort que cela l’empêchait de décrocher son Nokia pour écouter les six messages qu’elle lui avait laissé. Raccrochant une fois encore le combiné, elle s’en retourna dans sa cuisine pour éparpiller les lardons et la crème.

            Aristide rentra ce soir-là à l’heure du dessert, l’air hagard, avec dans les yeux une expression que sa femme ne lui connaissait pas, et qui n’était pas sans évoquer une espèce de ravissement, d’extase. La part de tarte aux quetsches une fois avalé, il grimpa l’escalier tel un cabri et s’endormit presque aussitôt, ressassant dans sa tête ce qui venait de lui arriver.

            Honorin n’avait pas renié les liens du sang, même aussi distendus que ceux qui l’unissait à son cousin. Aristide se retrouvait à la tête d’une fortune que dix vies terrestres – en imaginant notre compagnon pénétré des secrets orientaux sur le karma – n’auraient pas suffi à épuiser. Outre l’appartement parisien de cinq pièces, Aristide héritait d’une demeure à flanc d’océan, en Bretagne et de tout ce qu’elle renfermait : un vaisselier en bois d’érable, un service à thé « flambant neuf » - le cousin préférant siroter, chaque matin, son bol de Benco - , un caban porté par un ancêtre, marin de son état disparu au large des îles Glou-Glou alors qu’il venait de toucher le pactole de la loterie nationale, une paire de jumelles pour astigmates, une antenne péri… péri quelque chose et surtout, une portée de chiens d’accompagnement, ces peluches miniatures qui hochent la partie intelligente de leur anatomie (à condition, bien sûr, que le canis debilis soit à l’image de l’homme) de leur propre chef – ou plus sûrement dès qu’un mouvement les agite. Aristide ne possédait pas d’engin à quatre roues, susceptible de faire fuir d’éventuels kleptomanes idiots, glacés d’épouvante à la vue de ces médor montant la garde, mais ils seraient adéquats en haut d’une armoire, invitant les meutes de moutons à repasser plus tard… comme une mort qui n’en finirait pas d’attendre la mort ! « En fait, expliqua-t-il à Myrtille, dubitative, l’avantage de tels chiens de compagnie est multiple, schizophrénique même, telle une infinité de carats dans un seul et même diamant… car non seulement ils n’aboient pas, ne mordent pas, ne se nourrissent pas (à nos dépends), ne s’acoquinent pas avec des roquettes de leur espèces, ne sentent pas, ne se grattent pas – les puces domestiques ne se sustentant pas longtemps de sang métaphysique – mais surtout, leur propriétaire ne se sent pas obligé d’aller les promener, les caresser, les flatter. Tu vois tout le bien qu’on peut tirer de cet héritage ».

            Il y en avait donc pour tous les goûts, des objets à ne plus savoir qu’en faire, de toutes nationalités et dont l’utilité est souvent remise en question. Mais le legs suprême, celui qui devait faire d’Aristide un homme comme il n’y en pas deux, était encore ailleurs. Avant d’entrer avec mes gros sabots en plein dans l’histoire improprement dite, il y va de la cohérence de ce récit de souligner qu’Aristide, toujours au fait de l’actualité, croyait que la misanthropie dont souffrait son cousin Honorin était une sorte de maladie congénitale qui avait frappé la branche bâtarde de la famille… et que cette « mise en thropie » devait s’apparenter à une mise en quarantaine, voire une mise en bière !

******

            Ainsi rapprochés de la vérité sur ce cousin providentiel, Aristide et Myrtille entrèrent en possession de leurs lares. Typique des habitations de l’ouest, le chez-l’autre puait le blé noir, le chouchen et le varech : un putois aurait vessé qu’il aurait continué son chemin l’air de rien. A l’intérieur, chaque chose était à sa place, comme si l’ancien propriétaire des lieux n’avait jamais rien déplacé, ou plus sûrement, avait tout rangé avant que la mort ne frappe. Les cintres, dans l’ombre, guettaient leurs proies, les « fils amants » des ampoules - poires incomestibles pour fakirs ventre-creux - dansaient une gigue effrénée, les matelas ventriloques souhaitaient la bienvenue en onomatopées pré-adamiques, l’escalier se lovait autour de sa rampe, les plinthes se plaignaient, les radiateurs irradiaient, dans la penderie les écharpes s’étripaient, les vases jasaient, la bibliothèque s’oubliait dans le teck, les fleurs artificielles se fritaient, leurs pétales effritées, la moquette se moquait, les rideaux se ridaient, les armoires se miraient dans la moire des étoffes étouffantes…

            Alors qu’ils traversaient le couloir, le tour de la propriété jouant son dernier rôle avant le rappel et le retour en coulisses, Aristide ressentit l’inquiétante impression d’être épié, surveillé dans le moindre de ses déplacements et serra, affolé, la main de Myrtille qui poussa un petit cri. La curiosité maladive l’emportant haut la main sur la prudence, il leva les yeux et saisit du regard – et du regard seulement, vu la hauteur où elles étaient disposées – la collection complète des toiles ancestrales. Tout au long du corridor étaient rangées, du plus laid au plus humain, en un ordre toutefois encore arbitraire, les peintures qui avaient accompagné, siècle après siècle, du berceau au tombeau, les rejetons de l’illustre famille Mulet durant leur impayable méditation devant la Beauté… et qui espéraient ainsi intercéder auprès de divinités compatissantes, ivres de compassion – à défaut de vin - et seules capables d’assurer à leurs élastiques contemplateurs le minimum garanti de sensibilité artistique, sans laquelle un homme n’est pas tout à fait un homme. Certaines toiles étaient datées, paraphées, quoique d’une écriture maladroite, presque illisible, et cela fut d’un précieux secours pour Aristide qui put ainsi proférer ses critiques en prenant le peintre à partie, l’accusant de tares dont celui-ci ne pouvait soupçonner qu’elles existassent. La plupart, cependant restaient anonymes, orphelines, apatrides et Mulet, fier combattant devant l’injustice, pensa, pendant un bref instant, y mettre un terme en signant, armé d’un marqueur et d’un annuaire (car il y avait plus d’une trentaine d’aquarelles, gouaches, fusains, lavis… et tutti quanti) du nom d’un autre, mais appartenant à la même dynastie peinturlurante, choisi à la fois par hasard et par intérêt, son patronyme ne devant pas excéder dix caractères - ce qui ôtait toute chance aux flamands – ces posters d’un autre âge « tout croûtés par endroits ». Mais quand sa tendre épouse lui chuchota à l’oreille que tous ces portraits portaient le même nom, qui n’était sûrement pas celui de l’artiste mais le sien, Mulet comprit qu’il faisait fausse route.

Ils continuèrent à déambuler, observant les toiles qui les regardaient d’un œil morne. A un moment pourtant, Aristide s’arrêta brutalement et secoua la tête de droite à gauche, en regardant sa femme puis ce qu’il y avait au mur. Qu’est-ce qui motiva Mulet à rompre aussi brutalement l’émolliente acupuncture de ses préoccupations esthétiques ? Le simple fait de se retrouver nez à nez avec lui-même… enfin, une réplique de lui-même, car il ne pouvait y avoir deux Aristide Mulet.

- Sapristi Myrtille ! Tu vois ce que je vois… Je ne sais plus qui croire de mes yeux ou du cousin Albert qui m’affirmait pas plus tard que jeudi dernier que l’homme est unique et que tous ceux qui allèguent avoir rencontré, de visu, leurs sosies, ne sont que des imbéciles, des empêcheurs de penser en rond. Ne cédons pas à la panique. Voyons, je m’appelle Aristide Mulet, j’ai cinquante-trois ans, je pèse soixante-dix neuf kilos et je mesure un mètre soixante-sept. Myrtille, c’est ma femme et il y a plus de vingt ans que nous sommes mariés. Je suis un homme responsable, je vis au vingtième siècle, je ne crois pas aux fantômes… Ne m’interromps pas, j’ai besoin d’être au clair avec moi-même. Il faut tout reprendre depuis le début. Je vois devant moi des portraits de personnes qui ont existé mais moi j’existe aussi, aujourd’hui. Voilà un point de marqué ! Bien sûr, un jour, je disparaîtrais à mon tour et je me retrouverais sur ce mur, au milieu des autres peintures, mais ce jour n’est pas encore arrivé. Je ne veux pas savoir lequel des membres de ma famille sera le plus empressé à me reconnaître, car je connais déjà la réponse. Je sais que ce sera Cristobald... Oui, Myrtille, je sais, tu aimes beaucoup mon neveu, il te fait rire mais il est trop jeune, il y a quelque chose qui ne va pas avec lui, et ce n’est pas seulement son prénom… Mais laisse-moi finir. Je le vois bien, flanqué de son épouse et de ses chiards, c’est bien le genre à avoir plein de gosses et à venir m’insulter… Hein ! Qu’est-ce que tu dis ? Je suis en train de me monter un film…

Je ne sais pas quelle serait ma réaction devant mon sosie, comment je réagirais ni quels mots j’emploierais pour me défier de toute ressemblance avec l’autre ? Je crois que je franchirais en courant la porte du premier laboratoire de chirurgie esthétique venu pour me faire refaire le visage. Aristide, lui, éprouva certainement la plus forte angoisse métaphysique de toute sa vie, et cette angoisse tripla encore quand le dédoublé, faisant un pas en avant pour échapper à lui-même, remarqua que son jumeau faisait de même. Finalement, exhorté par sa femme qui avait déjà tout deviné, Mulet avança une main vers ce fantomatique ectoplasme et reçut la vérité en pleine gueule, car là où il s’attendait à rencontrer une peinture, il ne toucha que le verre froid d’un miroir qui n’était pas à sa place.

Débarrassé de sa peur, Aristide franchit sans peine les cinq mètres qui le séparaient de la bibliothèque de l’oncle Antonin. C’était une vaste pièce remplie d’étagères, et occupée en son centre par un canapé en cuir - en fait quatre fauteuils réunis en forme de croix potencée et orientés chacun dans l’une des quatre directions cardinales. Sur chaque accoudoir, dans un rangement creusé à l’intérieur du tissu reposait une paire de jumelles de théâtre. Aristide s’assit à l’est et invita Myrtille à choisir son azimut puis, l’œil aventureux, il lorgna un par un les opuscules, préférant y aller mollement plutôt que de tomber une seconde fois sur un autre égrégore, commentant chaque découverte. « Myrtille, as-tu déjà entendu parler de la Critique de la raison critique d’un dénommé Kant ? Non mais, quelle idée d’utiliser deux fois le même mot ! Et ça se dit écrivain, ça ? -Aristide, les mains dans le nez et les doigts dans les poches que tu ne connais pas celui-là : Critique de la raison pure. Non ! c’est de qui ? – Du même ! - Du même ? mais c’est pas un nom ça ? - Non, son nom c’est Kant, comme l’autre. - Tu veux dire que… Pas possible. A ce compte-là, moi aussi je vais écrire un livre et il s’intitulera : Critique pure de la raison critique impure ». Mulet changea de place, discernant au sud, à l’ouest et au nord un univers inexploré, des tranches délicatement ciselées, plus d’un millier de livres qui lui faisaient du plat.

******

            Aristide et Myrtille visitèrent chaque pièce, de la buanderie au grenier et de la cave au salon. Ce soir-là, Mulet s’endormit sans penser à rien, le drap rabattu sous le menton, d’une horizontalité à couper le souffle. Le lendemain, en proie à une crise d’ennui, alors qu’il relisait le testament, il sentit un point d’interrogation se former, sûr de lui, au beau milieu du fil équanime de ses pensées. Un homme normal est parfois terrassé par une idée qu’il n’avait pas prévue, laissant tout le reste en suspens. Mais Aristide n’était pas un homme normal, il ne pensait qu’en de très rares instants, se contentant la plupart du temps d’obéir à ses habitudes, ayant fait de sa vie de chaque jour sa vie de tous les jours. Or ce jour était un de ceux qui ne voulait pas venir. Cette géhenne de l’esprit lui fit prendre conscience qu’il avait quelque peu négligé certains détails. Le testament le spécifiait pourtant, dans ces lignes écrites en rouge et en bas : « La maison et tout ce qu’elle renferme d’objets hétéroclites jusqu’au dernier lui appartiendra en propre mais dans son ensemble uniquement ». Il ne pouvait donc, d’après les termes du contrat, en ôter ne serait-ce qu’une miette, sans se voir privé de la totalité.

            - Myrtille, est-ce que tu te rends compte ! Qu’est-ce que ça représente un sur mille ? Quoi : 999 chances d’avoir raison ou tort. Oui, dans un sens, tu as raison, mais quoi d’autre ? Est-ce que ça peut changer quoi que ce soit à la marche du monde, qui de toute façon marche très bien sans nous. Physiquement parlant, c’est moins qu’une gorgée d’eau dans un océan, moins qu’une goulée d’air pour sauver un noyé, mais si on réfléchit en termes de jurisprudence, de lois, un seul retrait quel qu’il soit coûte davantage que la dizaine d’éléphants assassinés pour leur défense par les dieux grecs, histoire de remplacer l’épaule perdue de Pélops contre une toute nouvelle en ivoire, qui, soit dit en passant, a fini ses jours dans l’estomac cannibale de Déméter… Et tu sais pourquoi ? Simplement parce que la mythologie, c’est même pas vrai et qu’il n’y a jamais eu d’éléphants en Grèce, juste des popes. Hein, qu’est-ce que tu en penses ?

            Myrtille avait depuis longtemps déjà décroché, et réfugiée dans la cuisine, cassait les œufs pour préparer l’omelette aux patates persillées dont il raffolait tant. Elle l’entendait relire le testament dans la pièce à côté, cherchant des réponses là où il n’y avait même pas de questions, et à un moment, comme elle attrapait une poêle, elle sentit un léger courant d’air derrière elle. Elle n’y prêta aucune attention sur le moment, trop occupée à surveiller la cuisson et cria à son mari de se mettre à table. Mulet avait l’esprit ailleurs, elle le sentait rien qu’à l’observer, picorant des bouchées d’omelette dans son assiette tout en jetant des coups d’œil à la dérobée sur ce satané document qui lui devenait de plus en plus ésotérique. « - Aristide, tu pourrais faire un effort tout de même. Tu es plongé dans ce contrat depuis trois jours et à te voir, j’ai l’impression que tu as peur de quelque chose… Il ne peut plus rien nous arriver ! Dis-toi que nous sommes propriétaires de cette maison, et tu verras, tout ira bien mieux. – Je sais, je sais, Myrtille, mais il y a quelques phrases qui me laissent tout pantoufle… celle-ci par exemple. Dis-moi ce qu’il faut déduire de ce charabia : « Et outre qu’il n’abandonnera jamais le poivrier aux tourments d’une existence sans sel, Aristide devra prendre grand soin et veiller de toute son attention au bonheur de Quentin… Astérix… ». - Aristide, l’interrompit Myrtille, tu es sûr que c’est un nom ça, Quentin Astérix ? – C’est ce qui est écrit ! – Fais-moi voir ». Myrtille attrapa le papier et relisant le passage que son mari venait de lire, constata que son cher Mulet avait encore lu trop vite, sans remarquer que l’astérisque dont il était question renvoyait à une note en bas de page. « - Aristide, souffla-t-elle, ce Monsieur Quentin dont il n’est jamais fait mention, sauf ici, a effectivement été la rencontre la plus importante dans la vie de ton cousin Honorin mais il n’est précisé nulle part ce que nous devons faire avec lui. – Mais enfin Myrtille, qui est ce Quentin Quelque Chose ?

            A peine avait-il achevé de parler qu’Aristide reçut une réponse décisive à sa question, sous la forme d’un pas assez pesant qui descendait l’escalier. Quand l’homme déboucha dans le salon, le premier détail qui frappa l’esprit de Myrtille Mulet fut l’étonnante ressemblance physique entre cet individu et son époux, avant qu’il ne se mette à parler. L’inconnu était certes plus vieux et plus replet, chauve de surcroît et ce n’était pas son smoking qui l’arrangeait, mais il y avait un petit quelque chose qui les rapprochait tous les deux dans une sorte de gémellité comique. – J’ose espérer que tout va pour le mieux pour vous, Monsieur, Madame. Si je puis faire quoi que ce soit pour vous rendre service, n’hésitez pas à me sonner… Le bouton est à côté de la cheminée. Sur ce, je vous souhaite une bonne fin d’appétit et vous dit à demain... Ah, j’allais oublier, il y a un très bon film ce soir sur la troisième chaîne : Volte Face, d’un chinois dont je n’ai pas retenu le nom. L’homme s’inclina puis quitta la pièce en refermant la porte derrière lui sous le regard ébahi des Mulet.

            Aristide ne savait quoi penser et cela le mettait mal à l’aise, le rendant muet. Myrtille, quant à elle, n’en revenait toujours pas de la similitude entre les deux hommes. – C’est à croire que vous êtes parents, lâcha-t-elle soudainement en regardant son mari dans les yeux, alors qu’un silence s’était instauré entre eux depuis plusieurs minutes. – Hein, qu’est-ce que tu dis ? souffla Aristide. – Ca c’est bien toi ! Tu n’as sans doute pas remarqué à quel point cet homme te ressemblait ? On dirait toi dans quelques années. Ca explique pourquoi ton cousin l’a engagé et nous l’a légué. – Je ne te suis pas Myrtille, mais alors, pas du tout. Je t’ai déjà dit que le Riesling était mauvais pour toi, tu as déjà les joues toutes rouges… mais je sais ce que c’est : on veut jouer à la femme libérée, sans problèmes, bien dans son époque et on raconte un peu n’importe quoi. Mais bon, ce soir, je serais indulgent car je ne sais pas quoi penser de cette intrusion et ça me met dans tous mes états. J’ai besoin de réfléchir.

            Myrtille n’insista pas et s’en alla préparer le déca du soir. Elle était pourtant sûre d’elle-même et ne cessait de ruminer ses pensées, mais elle connaissait son Aristide sur le bout des doigts et les ravages du vin d’Alsace. Ils burent leur café sans dire un traître mot puis se couchèrent. Au milieu de la nuit, torturé par un cauchemar, Aristide se réveilla en sueur et tenta tant bien que mal de retrouver des idées claires en vidant une demi bouteille de Valvert. Il s’était endormi avec les mots de sa femme dans la tête et dans son délire, il avait construit tout un monde fantastique où il arpentait un supermarché gigantesque. Il se baladait de rayon en rayon avec son caddie qu’il remplissait tranquillement, les sucrés d’un côté, les salés de l’autre… quand il heurta quelqu’un. Il avait sa phrase d’excuse toute prête sur les lèvres mais fut obligé de la ravaler en distinguant le visage de l’homme posé sur lui. C’était, à n’en pas douter, le majordome de la maison, ce mystérieux Quentin qu’il avait rencontré hier pour la première fois. – Monsieur Mulet, quelle drôle de surprise, vous ne trouvez pas ? L’homme avait une voix mielleuse, pleine de contentement de soi, du genre à se laver avec un gant de toilette en conclut Aristide qui attrapa d’un geste rageur un paquet de fraises Tagada. Et là où le rêve vira au tourment dans la pauvre caboche d’Aristide, c’est quand l’homme plongea sa main dans le caddie pour en retirer trois sachets de bonbons qu’il éventra sans scrupules tout en le sermonnant sur « une consommation abusive de sucreries qui était fortement déconseillé par les dentistes et les docteurs ». Cette illusion des sens fut en quelque sorte prémonitoire, plongeant les époux Mulet dans une aventure pour laquelle ils n’étaient pas vraiment préparés.

******

            Kafka disait que Don Quichotte n’était qu’un rêve enfanté par l’esprit oisif de Sancho Pança, Quentin aurait pu l’être lui aussi… mais il était terriblement réel. Cela faisait trois mois qu’ils vivaient sous le même toit, partageant parfois des repas ensemble et tuant régulièrement leur ennui en sa compagnie devant un spectacle inepte diffusé à la télévision. Les premiers jours pourtant, Quentin s’était montré relativement discret, n’intervenant qu’en de rares circonstances, sur le choix du vin qui était censé accompagner les plats, la cuisson des aliments, les programmes télé… puis, le temps aidant, il avait commencé à imposer ses choix. Il serait bête pourtant de calomnier un homme qui ne faisait finalement que ce qu’il lui plaisait – et sans mentir, on peut dire qu’il n’y eut pas que des désagréments dans ce ménage à trois. Très rapidement, par exemple, il leur dressa une situation on ne peut plus claire du voisinage, rappelant au choix le passé communiste du boulanger ou les relations extra conjugales de l’infirmière sans parler des différentes maladies contagieuses de la plupart des voisins. A l’en croire, il n’y avait vraiment aucun intérêt à sortir dehors et fréquenter ses dissemblables « qui avaient déjà reçu la visite de la mort mais faisaient semblant d’avoir changé d’adresse ».

Myrtille avait beaucoup de mal à s’habituer à la présence quotidienne du majordome et ne se gênait pas pour lui montrer, faisant contre bonne fortune mauvais cœur. Elle l’accablait en silence de tous les défauts de la terre, lui trouvant le regard de Fu Manchu et le sourire de Dracula. Il est vrai qu’il y avait dans son comportement comme une envie soudaine de tout laisser tomber, de dire merci et de rentrer chez soi. Aristide, lui, semblait obnubilé, presque acquis à sa cause… ravi finalement d’avoir à ses côtés quelqu’un toujours prêt à lui rendre service, considérant chacun de ses caprices comme un ordre. A plusieurs reprises, persécuté par sa femme qui le soupçonnait des pires desseins, il l’avait interrogé sur son cousin Honorin, en vain ! Quentin balayant la question par une autre qui, elle, appelait une réponse immédiate.

Il fallut l’intervention du hasard, personnifié sous les traits d’une voisine acariâtre pour que la vérité explose tel un pétard dans une cour de lycée. Myrtille avait un drôle de rapport avec l’humanité, comme si cette dernière n’était qu’une excroissance de sa propre personnalité, un fibrome malsain et peu fréquentable. Elle ne haïssait personne mais n’avait besoin de personne non plus, parfaitement heureuse dans sa vie d’épouse ; Aristide était l’homme dont elle avait toujours rêvé et le reste n’avait aucune importance. Comme elle ne liait jamais connaissance avec autrui, le seul moyen de rentrer en contact avec elle était de la séduire, de la harceler jusqu’à obtenir un nom et un numéro de téléphone. C’est ainsi qu’Agathe Ioubèbe fit sa connaissance un matin au marché, après avoir comparé en sa compagnie le prix des navets, patates, carottes et autres légumes… Quatre marchés plus tard, elle apprit qu’elles étaient quasiment voisines et attendit encore dix jours avant d’être invitée à venir prendre le thé.

Ce fut donc par un samedi pluvieux de février qu’Aristide et Myrtille se virent révéler le terrible secret qui pesait dans leurs murs. Mademoiselle Agathe arriva vers quinze heures, le chignon à moitié défait, les lunettes trempées et le parapluie tout tordu. Myrtille l’aida à se débarrasser de ses vêtements et la précéda au salon où les attendait Aristide, qui avait, pour la circonstance, revêtu son plus beau et unique costume. – Venez que je vous présente à mon époux. Aristide, voilà Agathe… Agathe, Aristide. Ravi de faire votre rencontre, minauda Aristide, ma Myrtille m’a tellement parlé de vous que je brûlais de vous connaître. Vous voulez un thé ? Je vais mander le majordome, il s’occupera de tout. Mulet se dirigea vers la cuisine, fier comme un paon boulimique, laissant les deux femmes à leur bavardage. – Vous avez un majordome, ici ? s’empressa de demander Agathe. Oui, il était offert avec la maison… Je ne sais pas si je dois vous le dire, mais je ne l’aime pas trop, je ne lui fais pas confiance, j’ai… j’ai toujours l’impression qu’il manigance quelque chose. Myrtille était au comble du bonheur, elle avait enfin trouvé quelqu’un à qui confier ses peines et ses angoisses et ne se gêna pas pour les déverser. Dès qu’Aristide revint dans la pièce, elles ramenèrent la conversation sur des sujets plus consensuels, plus cons aussi. Quelques minutes plus tard, Quentin fit son apparition avec son plateau, son service à thé et son sourire narquois qui changea du tout au tout dès qu’il aperçut la Ioubèbe affalée sur le canapé. Aristide n’avait pas assez d’oreilles pour entendre le cliquetis sauvage des tasses sur le métal, trop préoccupé par son rôle de maître de maison ; Myrtille, elle, sentait bien que quelque chose n’allait pas, qui mettait Quentin dans tous ses états, lui d’habitude si calme, si catégorique, mais elle imaginait tout autre chose, une liaison secrète entre ces deux tourtereaux qui n’avaient jamais eu l’occasion d’exprimer leur flamme. Aussi quelle ne fut pas leur surprise à tous les deux lorsqu’Aristide, faisant les présentations : « Mademoiselle Agathe, permettez-moi de vous présenter notre majordome, Quen… », Agathe Ioubèbe l’interrompit aussi sec et le regardant dans les yeux, cria plus qu’elle ne parla : « Honorin, c’est bien toi. Et moi qui te croyais parti à la Ville ».

            - Mais pourquoi ? réussit enfin à articuler Aristide, dès qu’ils se retrouvèrent seuls tous les deux. Qu’est-ce qui a bien pu te passer par la tête Honorin, pour me jouer un tour pareil ?

            Honorin n’était plus que l’ombre de lui-même, ratatiné sur place tel un bonsaï perdu au milieu d’une forêt de séquoias, et c’est d’une voix fluette qu’il répondit à la question de son cousin tout en fixant le bout de ses chaussures :

            - Parce que je m’ennuyais mon cousin. Ma vie n’avait plus aucun sens… je végétais dans mon appartement à Paris et les journées passaient qui se ressemblaient toutes. J’ai imaginé ce petit jeu pour donner du piquant à mon existence et tu étais la seule personne que je connaissais.

                Ils causèrent comme de vieux amis qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps et lorsque Myrtille Mulet rentra à la maison, elle les retrouva à l’endroit même où elle les avait quitté une demi-heure plus tôt. Elle avait eu tout le loisir en raccompagnant son amie providentielle de méditer sa vengeance et elle ne se fit pas prier pour la mettre à exécution, se postant bien en face du cousin facétieux de son cher époux et, tout en lui désignant la cuisine du doigt, l’interpellant de la sorte : « Monsieur Quentin, l’heure tourne, croyez-vous que le dîner va se préparer tout seul ? ». Puis elle tourna les talons et s’assit à la table, une fourchette dans la main et un couteau dans l’autre.

Publicité
Commentaires
L
Je suis heureux d'être le premier à laisser un commentaire sur ce blog qui me permet de relire des textes que j'ai vu naître. Vive Aristide Mulet ! C'est le président qu'il nous faut !(et David, sa plume, aura une place de conseiller à l'Elysée !)<br /> Loïc
démo des maux
Publicité
Archives
Publicité