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démo des maux
16 mars 2008

Noel au Balcon, pâques sous le gazon !

NIggers

Une nouvelle aventure de l'imputrescible, l'ambidextre, l'amphibien, l'agoraphobe, le cuistre, l'ingambe, le champion des causes perdues d'avance... Aristide Mulet.

Un Noël en famille

          D’une nature optimiste qui confinait à la bêtise, notre compagnon Mulet n’avait jamais vraiment cru à la tristesse de ses congénères. Aussi éprouva-t-il une cyclopéenne surprise lorsque le hasard, par le truchement d’un magazine tous publics, le mit en face de ce fait irrévocable : une famille sur dix n’avait pas son Noël à elle. Or Noël tombait cette année le lendemain du vingt-quatre décembre. Le sang de Mulet ne fit qu’un tour et d’une fougue digne d’Alcibiade, il cassa le cochon des économies et s’en alla acheter un costume, afin, se dit-il, « de rendre une famille heureuse », au moins pour un soir.

            Comment s’y prit-il pour atterrir tel un ange dans un cénacle de dévots, au sein d’une famille oubliée de tous, pour laquelle le rouge et le blanc n’étaient que des couleurs se mariant très mal ensemble ? Rien de plus simple ! Le vingt-quatre dans la soirée, notre ami vagabonda, de venelles en avenues, repassant à cinq reprises devant son domicile et levant son regard contrit vers cette seule fenêtre enténébrée, sans se rendre compte de rien. Finalement, toute errance connaissant son exténuation, alors qu’il divaguait, moitié lui-même, moitié père Noël rongé par l’ennui, il s’arrêta au pied d’un immeuble en briques. Et il vit une pâle lumière au milieu des feux multicolores et des pétards noceurs, et il entendit un silence stertoreux au milieu des brouhahas.

            La révélation le gifla de plein fouet : il était enfin arrivé au but de sa course, et minuit n’avait pas encore sonné. D’une allure d’ours kodiak se dirigeant vers sa tanière, il grimpa péniblement les trois étages de l’escalier, le cœur prêt à lâcher. Devant la porte, Aristide réajusta sa barbe postiche et pressa la sonnerie. Une longue minute d’attente lui fit faire le pied de grue, et comme il s’apprêtait à repartir, la porte gronda sur ses gonds.

            - C’est pourquoi ?

            Une voix venait de prononcer ses mots, mais devant le regard interdit d’Aristide ne se profilait que le vide. Rien ne s’était présenté qui aurait pu expliquer pareil mystère, à moins... à moins qu’il ne soit tombé sur un ventriloque.

            - C’est pourquoi, répéta la voix.

            Alors, baissant les yeux, il distingua un enfant, grand comme un nain.

            - C’est Noël. Je suis le Père Noël et ma hotte est pleine de cadeaux.

            A ces paroles, les pupilles du marmouset s’emplirent d’une fontaine de larmes, il se mit à trembler et s’effaça... pour réapparaître quelques pas plus loin, Monsieur Noël sur ses talons.

            - Bonjour, Famille Désœuvrée. Je suis venu du plus haut des Cieux rendre justice.

            L’homme et la femme s’observèrent, embarrassés, cherchant un sens à cette intrusion.

            - Qui êtes-vous ? demanda enfin l’homme, d’une voix sifflante.

            - Je suis le Père Noël.

            - Est-ce que nous nous connaissons ?

            - Le Père Noël connaît tout le monde.

            Après un silence, l’homme reprit la parole :

            - Vous arrivez trop tard, Monsieur Noël. Tout est fini... pour nous.

            - Allons, du nerf ! clama Aristide. La fête ne fait que commencer.

            Mulet n’avait aucune idée du lieu où il était tombé. Ni l’aspect exsangue de ces personnes, ni l’atmosphère de renfermé qui régnait dans la pièce ne le troublèrent. Il était là où il devait être, un point c’est tout. Et quand cette famille fut prise de quintes de toux vraiment alarmantes, il n’imagina rien que du plus normal.

            - Monsieur Noël, reprît le maître de céans, vous devriez partir au plus vite... Nous ne sommes pas...

            - ... Des gens recommandables, ajouta son épouse mal à l’aise, un mouchoir coincé sur les lèvres.

            - Tut, tut, tut... Vous ne vous attendiez pas à ma visite, voilà tout. Mais maintenant que je suis là, je ne saurais être ailleurs. Aristide se retourna vers l’enfant, les yeux grands éclos comme des pièces de cinq francs.

            - Approche mon enfant, je vais te faire une surprise. Assieds-toi, ferme les yeux et ouvre la bouche.

            - Non, Monsieur Noël, dit l’enfant. Je tousse trop, ce n’est pas bon pour vous.

            - Sois sage. Tiens, prends ce bonbon... Mais ouvre les yeux bon sang, tu vas avaler le papier avec !

            - Monsieur, reprit le père, vous ne savez pas qui nous sommes, ce que nous sommes ?

            - Et alors ! est-ce que vous savez qui je suis, moi ? Cela n’a strictement aucune espèce d’importance. Le Père Noël récompense chacun selon ses mérites, et mon petit doigt m’apprend que les vôtres sont incomparables.

            - Mais ce n’est pas ça... Nous sommes malades.

            - Allons donc ! De nos jours, tout le monde est malade. On ne va pas s’en faire pour si peu. Tenez, ma Myrtille par exemple : cela fait deux jours qu’elle est au lit avec une grippe, et est-ce que je m’en fais des soucis, moi ?

            - Mais le mal dont nous souffrons n’a rien à voir avec une grippe... La grippe, ce n’est rien.

            - C’est ce que je me tue à lui expliquer. Ne vous en faites plus, mes jouets vous rendront la santé.

            - Ce qu’il nous faut, dit la mère, c’est un traitement à la streptomycine... La Panacée, quoi ?

            - Strepto... Strepto machin-chose, à vue de nez, ça ne me dit rien... Le plus simple, c’est de voir si j’ai ce qu’il vous faut... là où il le faut. Et disant cela, Mulet déballa, pêle-mêle, ce que sa hotte renfermait : un train électrique, des peluches, des albums, une canne à pêche amovible, un puzzle...

            - Monsieur, coupa le père, affolé, arrêtez-vous ! et allez-vous en... Nous avons la tuberculose.

            - Tstt... tstt... tstt... Ici, il n’y a que moi qui ai ce qui faut pour rendre les gens heureux.

            - La tuberculose, Monsieur, reprit le père, rendez-vous compte… et vous l’avez contracté, vous aussi... Partez vite, je vous en supplie.

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