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démo des maux
11 février 2008

Seul dans la pièce

kinder_surprise   

    Cette nouvelle a une histoire très particulière. Je l'ai écrite en une seule nuit, la nuit de la naissance de ma fille, entre le 10 et le 11 juin 2002. L'inspiration fut comme un flash d'acide.  Tout s'est mis en place tellement rapidement dans ma tête qu'aujourd'hui encore, je suis surpris du résultat. Je la portais depuis quelques jours dans ce qui me tient lieu de cerveau - vivant au quotidien les derniers moments de la grossesse de ma femme - et quand j'ai craché les morceaux, je n'ai rien voulu changer. La fin n'est donc pas mon commencement !

Seul dans la pièce

          Souvent, à mon réveil, j’entends les gens d’au-dessus qui parlent. Leurs voix ne sont pas très distinctes et j’ai beaucoup de mal à les comprendre, ils n’arrêtent pas de répéter 10 centimètres et je ne sais vraiment pas de quoi il veulent bien parler. Parfois aussi, d’autres voix se mêlent à la conversation, mais plus étouffées encore. J’imagine qu’ils ont invité des amis et qu’ils discutent d’un tas de choses. Peut-être même qu’ils parlent de moi. Non, c’est impossible, voyons ! Comment pourraient-ils savoir que je suis là, prisonnier à l’étage au-dessous ? Je crois que personne n’est au courant de mon existence et que je vais passer le reste de ma vie dans cette pièce étrange. Il faut que je vous parle de l’endroit où je vis : c’est une espèce de chambre arrondie sans aucun coin carré et la première fois où j’ai ouvert les yeux dans cette pièce, j’ai bien cru devenir fou. Il n’y a pas vraiment de plafond ni de plancher et on a plutôt l’impression d’être à l’intérieur d’une gigantesque baudruche. Les murs de la pièce sont étonnants eux aussi, mous et durs en même temps comme un chewing-gum. Je me demande bien quel architecte dément a pu construire un pareil édifice. Le plus affreux, c’est que je n’ai plus aucun souvenir de mon existence passée et tout ce que je connais de la vie se résume à cette pièce. Je me suis réveillé un jour dans cette pièce et depuis j’attends que le temps passe et qu’on vienne me libérer. Une autre particularité de cet endroit mystérieux est la température constante qui y règne, à croire que le chauffage est cassé… et pourtant, je n’ai trouvé aucune trace d’un radiateur. Il est vrai que j’ai cherché à l’aveuglette, tâtonnant dans la pénombre continuelle sans rencontrer quelque objet que ce soit susceptible de m’éclairer.

            Tout ce que je viens de vous raconter, il m’a fallu beaucoup de temps pour l’appréhender – combien de semaines, de mois ? - car je dors tout le temps. Et c’est pourquoi j’aime à appeler cet endroit « ma chambre ». Mes ravisseurs, qui me veulent je ne sais quoi (je n’ai pas d’argent et je ne connais même pas ma famille) doivent me droguer et semblent éprouver un malin plaisir à me maintenir dans cet état comateux. Il y a également la corde qui m’angoisse, surtout parce que ce n’est pas une vraie corde mais une sorte d’élastique. Il m’est assez difficile d’en faire une description exacte car ça ne ressemble à rien de connu… alors, si vous pouvez imaginer une corde qui aurait la consistance d’un élastique, vous en saurez autant que moi. Tout ce que je sais d’elle, c’est qu’elle jaillit du mur, presque en face de la porte et me retient prisonnier, en m’empêchant ainsi d’explorer à fond la chambre. Au début, dans mes nombreux moments de désespoirs, j’avais l’atroce impression d’être à l’intérieur de quelque chose de vivant, mais maintenant, ça va mieux. La raison a repris le contrôle de ma pensée et je sais que cela n’existe pas, qu’il est impossible d’être vivant à l’intérieur de quelque chose d’autre qui soit vivant également. Je n’ai pas souvenir de m’appeler Jonas… mais c’est vrai que ma mémoire est morte.

Je passe mon temps à rêvasser et à dormir, je ne sais pas combien d’heures par jour. Je n’ai aucun souvenir également de manger et pourtant je me sens en pleine forme, surtout depuis quelques temps. Je me sens plus fort, mieux dans ma peau. Je ne sais pas dans quel état mes bourreaux m’ont trouvé mais je ne devais pas être joli à voir, affamé et perclus de fatigue. Le plus troublant, c’est que je ne sais même pas qui me donne à manger. Il faut croire que quelqu’un vient pendant mon sommeil et dépose des aliments, ou plus exactement, me nourrit alors que je dors. Les voix n’ont pas cessé et j’entends même des discussions à bâtons rompus ponctuées de rires, puis brusquement, un cri glacial qui retentit. Il doit se passer de drôles de choses dans cet endroit et dans un sens, c’est tant mieux que je sois isolé du reste du monde. Si je pouvais trouver un téléphone, je ne sais même pas si j’aurais le courage d’appeler la police, de peur des représailles. Je sais maintenant que je suis leur chose et qu’ILS – quel qu’ils soient - peuvent faire de moi tout ce qu’ils veulent, je ne lèverais pas le plus petit doigt pour me défendre.

Combien de jours se sont passés depuis le dernier jour ? J’ai l’impression que cela fait un siècle tant les choses ont évolué positivement pour moi. Je suis toujours enfermé dans ma chambre, relié à la corde mais je peux bouger dorénavant et je commence à mieux connaître l’endroit et la raison de mon enfermement. Il y a bien sûr des zones d’ombres qui continuent d’obscurcir ma pensée mais je commence petit à petit à y voir plus clair.

            Je crois que les gens sont à côté et non au-dessus, je les entends de mieux en mieux et je suis persuadé aussi qu’ils ne sont que deux à me surveiller régulièrement. J’arrive même à distinguer des différences de ton dans leurs voix, l’une d’entre elles est plus grave et plus monocorde alors que l’autre a de temps à autres des inflexions d’une certaine douceur. Leur langage a évolué également et tous les mots que j’avais entendu avant ne reviennent jamais plus dans leur conversation. Il est beaucoup question maintenant d’hypno quelque chose et il m’arrive de me réveiller et de saisir quelques mots au passage comme lucie, ferdinand, voire même des phrases entières que je ne sais malheureusement toujours pas analyser… Tous ces petits détails font que je cultive de plus en plus l’espoir qu’ils vont bientôt me libérer. Ils n’ont vraisemblablement pu obtenir aucune rançon pour ma libération et doivent chercher le moyen le plus facile de se débarrasser de moi. Il n’y a pas que l’environnement extérieur qui ait changé ; depuis quelque temps, ma chambre s’est transformée entièrement et ressemble de plus en plus à une « membrane ». Je ne sais pas comment cela a pu se passer mais jour après jour, je l’ai vu se modifier, alterner son apparence. Je suis obligé de faire avec mais cela ne me pose étrangement aucun problème, je m’y sens presque plus à l’aise quoiqu’un peu à l’étroit.

            Ce sont probablement les derniers mots que je vais vous confier car je sens que j’arrive au terme de mon aventure et que la réponse à toutes mes questions va bientôt m’être révélée, de plein fouet j’en ai peur. Il doit y avoir un tremblement de terre à la surface car tout bouge dans la chambre, ça ressemble à des contractions. Je l’ai senti en me réveillant et depuis je lutte pour rester éveillé. J’essaie de m’accrocher tant bien que mal, de faire un nœud à la corde mais je glisse alors que la porte s’ouvre et qu’une lumière irréelle m’aveugle. Je ne suis pas conscient de tout ce qui m’arrive mais j’entends des voix (les voix de tous les gens cachés derrière les portes) et je vois des choses bizarres et gigantesques comme des serpents blancs, qui s’agitent devant mes yeux, par dizaines. Je ne peux m’empêcher de réfréner un cri.

« C’est un garçon, Madame ».

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