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démo des maux
6 février 2008

La voix du ciel

vache_qui_rit

On replonge encore une fois dans le monde fantasque et merveilleux de notre compagnon d'infortune Aristide Mulet qui se retrouve, cette fois, en pourpalers avec un autre personnage illustre.

Une histoire du temps d'avant !

La voix du ciel

« Le secret de l’Eglise ?

C’est qu’il n’y a pas de purgatoire ».

Villiers de L’Isle-Adam

            L’homme était à l’article de la mort. Le plus faible courant d’air semblait pouvoir l’achever. A l’approche d’une fin imminente, l’humanité peut se diviser en deux types d’hommes : ceux dont le visage apparaît attendre la mort, et ceux qui l’ont déjà reçue. Il faisait partie de ce dernier groupe, agonisant cramponné à sa couche qu’en amant fidèle il n’avait pas négligé de toute une semaine, guettant peut-être le miracle qui l’arracherait du royaume des ombres. Mais les pessimistes nous l’ont assez dit : « La mort est bon pasteur car elle ne perd jamais rien de son troupeau ».

            A son chevet, coite et attentive au moindre cillement de paupière, la famille réunie attendait, en vain ; l’étincelle de raison ne parlait pas de langage clair. On commençait déjà à s’habituer à l’inéluctable, se scrutant dans le blanc des yeux, longuement. Certaines consolations exigent de tels efforts. Leurs joues emperlées les démangeaient bien un peu mais aucune de ses personnes n’osait rompre le recueillement et sortir un mouchoir. Parfois, l’homme est grand d’insensibilité, devant l’adversité surtout. L’extérieur du vieux bonhomme n’offrait guère d’illusions sur les heures qu’il lui restait à vivre : le teint crayeux, le souffle court, la langue pendante hors de la bouche, le corps secoué de frissons... une vision redoutable que chacune de ces âmes ici rassemblée supportait pourtant, par amour, ce respect de l’héritage.

            Que se tramait-il dans la tête du mourant, derrière ces yeux déjà gris ? La toute dernière goutte de conscience venait d’être avalée, très peu désaltérante à son goût. Il faisait un rêve. Il se voyait dans les airs, batifolant allègrement au milieu des nuages, et léger, très léger. Il ne faisait pas le plus petit mouvement mais n’en continuait pas moins à voler, de-ci de-là, léger comme une plume, nullement troublé de se trouver contre toute attente dans un lieu où, à priori, il n’avait rien à y faire. Il se préparait à « faire la planche », s’imaginant naïvement, vu le bleu infini qui l’entourait, perdu en plein océan. Oui, il se préparait à ce repos natatoire lorsque deux mains, promptes comme la foudre le soulevèrent par les oreilles - qu’il avait fort lâches, faut-il préciser - et l’emportèrent très loin, tout là-haut, dans les étoiles. Arrivés à destination, les anges - car les deux mains étaient bien évidemment terminées par des corps, et en cette occasion, des corps d’anges... aucun aigle, ni même aucun busard ne pourrait voler à une telle altitude - le poussèrent à travers un nuage, troué en son centre.

            L’homme avançait maintenant dans ce que nous appellerons poétiquement « le tunnel d’ouate », s’amusant à compter les pas, à cloche pied... quand une voix venue d’on ne sait où, ébranlant le silence, l’appela par son nom. A cette preuve évidente d’une connaissance en ce lieu décidément bizarre, le gaillard se sentit des ailes. Aussi, quel ne fût pas son découragement de ne découvrir, là où il avait espéré retrouver un inséparable, qu’un vieillard chétif et ridé hors de toutes proportions ! Le rêveur s’apprêtait d’ailleurs à rebrousser chemin, fâché de cette vilaine farce lorsqu’un souvenir lui glaça la mémoire. Se retournant alors, il observa de plus près ce mystérieux patriarche, et l’ayant reconnu, enfin ! il ne put s’empêcher de marquer sa joie en ouvrant grand ses bras, donnant même un coup de talon sous lui - et traversant du même coup le nuage qui le soutenait, sans se rendre compte de rien, trop heureux de cette coïncidence.

            - Ça alors, vieille couille ! pour une surprise, elle est de taille. Mais que fais-tu ici ? Et quel bled est-ce donc que ce machin-là ? Jamais entendu causer de ce bouge.

            Le vieil homme le fixa d’un œil interrogatif, avec dans les yeux cet air qu’ont les parents froissés devant leurs enfants, ne sachant s’ils doivent rire ou leur flanquer une déculottée.

            - Aristide Mulet, puisque tel vous êtes et restez, jusqu’à ce que j’en ai décidé autrement, où vous croyez-vous ?

            - Elle est bien bonne celle-là, répliqua Mulet. Monsieur fait comme s’il ne me reconnaissait pas... On m’oublie, chenapan.

            - Mais je vous connais parfaitement et je ne vous oublie pas, reprit la voix. Dites-moi donc qui croyez-vous que je suis ?

            Aristide fut pour le coup surpris et, dansant d’un pied sur l’autre, ainsi qu’il le faisait chaque fois qu’il était soucieux, fronça les sourcils tout en disant :

            - Sacré Marcel, va ! toujours aussi farceur.

            - Mulet ! S’il s’avère exact que la physionomie que j’arbore pour la circonstance ressemble étrangement à celle de feu Marcel Pipo, il n’en est pas moins vrai que je ne suis pas cet individu-là.

            - Mais qui es-tu alors ? questionna Mulet.

            - Je suis le Verbe, le Souffle, l’Esprit... Je suis DIEU.

            - Connais pas... Désolé, je vous ai confondu avec mon vieux pote Marcel. Mais alors, tout s’explique : si vous n’êtes pas Marcel, c’est donc que je ne vous connais pas, et si je ne vous connais pas, vous ne pouvez pas me connaître non plus. Vous savez, j’ai toujours été d’un naturel distrait, c’est ce qui fait mon charme... du moins, ma seconde moitié l’affirme à qui veut bien l’écouter. Mais je vous enquiquine avec mes histoires... Allez, ne faites pas la fine mouche, je le vois rien qu’à votre mine... Et d’ailleurs, murmura en aparté Mulet, vous la connaissez même pas ma Myrtille !

            - Vous serez pardonné en temps voulu, répondit Dieu. Savez-vous pourquoi vous êtes ici, prêt à confier tous vos péchés.

            - Je suis un peu dur de la feuille, c’est de famille... Vous voulez bien répéter. J’ai cru entendre que vous aviez des pêchers à vendre. S’il ne s’agit que de cela, je suis preneur, c’est pas tout à fait ma branche mais on trouvera bien un arrangement... Voyons voir, au prix où est le kilo de la pêche... Je retiens 10 que je multiplie par 150, auquel j’ajoute 14...

            - Mulet, où vous croyez-vous ? Vous n’êtes plus sur terre. Ici, ce sont les Cieux. Votre enveloppe corporelle est aux abois et votre âme comparaît devant moi. Nous sommes réunis ici pour juger de la sincérité de votre repentir. Car c’est ici que tout se décide. Faites pénitence, Mulet ! Confiez-nous votre cœur, que nous puissions juger de ses vertus et de ses vices.

            - Vous faîtes quoi ici, s’emporta Aristide, de la magie noire, de la prestidi...gi...ti...gitation ou quoi ? L’autre jour, j’ai vu un reportage sur une secte de fanatiques indiens, les tags... quelque chose comme ça... Des barbares, en tout cas, qui font la même chose : ils ouvrent des poitrines en deux et retirent les cœurs pour les offrir à un guignol de dix mètres de haut, peinturluré comme c’est pas permis... et qui bouge pas d’un pouce, à croire qu’il est même pas vrai. Faut pas croire que ça va marcher avec moi : je suis pas tout à fait stupide.

            - Repentez-vous Mulet pendant qu’il est encore temps, reprit le grand-père, visiblement peu décontenancé par les paroles d’Aristide.

            - Je sens que je ne vais pas jouer longtemps à ce petit jeu. Appelez-moi tout de suite le directeur de cet établissement, je vais lui en toucher deux mots… C’est que j’ai des appuis, moi, et hauts placés... Et vous, vous finirez aboyeur à Pigalle ou dans un cirque.

            - Je suis le directeur, car je suis Dieu.

            - Nom d’une pipe en bois, souffla Aristide. Est-ce que c’est un nom, ça : Dieu ? Dieu quoi ? Y a pas de prénom devant ?

            - Mulet, je perds patience. En juin dernier, vous avez blasphémé trois fois mon nom après vous être enivré.

            - Comment je peux vous blasphémer alors que je connais même pas votre nom ?

            - Revenons plus en arrière, vous vous souviendrez peut-être. A l’âge de quatre ans, vous avez frappé votre jeune sœur à la cuisse avec le martinet de votre mère. A l’âge de six ans...

            - Attendez un peu ! J’ai été filmé, c’est ça ! ou alors, c’est ma sœur qui a cafté. C’est une vraie pie, cette demie femme. Et d’ailleurs, qu’est-ce que cela peut bien vous faire que je cogne ma sœur, vous n’appartenez pas à ma famille… vous pensez bien que je le saurais, depuis le temps.

            - Je suis de la famille de tout le monde, mon enfant...

            - Et moi, de celle de Personne, éclata de rire Aristide. Ca vous en bouche un coin, pas vrai ?

            - Reprenons. A six ans, vous avez exhibé la partie interdite dans l’enceinte d’une église...

            - Le curé, c’était un âne bâté, comme tous les curés... Et puis, c’était pas mon derrière que je lui ai montré au vieux roublard.

            - Toujours à six ans, vous avez volé à l’étalage.

            - J’avais faim.... Mais d’où vous savez tout ça ?

            - A huit ans, vous avez planté un compas dans l’œil de votre camarade Victor Boyaux.

            - Je voulais calculer la circonférence de l’œil... C’est pas ma faute s’il a bougé.

            - A treize ans, et nous remarquons que vous avez été sage durant cinq longues années...

            - J’étais malade, couché au lit... tiens, comme tout à l’heure. Mais, je voulais vous demander, maintenant qu’on se connaît un peu mieux, comment ça se fait que vous disiez tout le temps « nous », alors que vous êtes tout seul ici ?

            - A treize ans donc, continua Dieu, vous avez vidé votre pot de colle dans le bénitier, dérobé l’argent dans la sébile d’un pauvre aveugle...

            - Tu parles qu’il était aveugle, celui-là... dans le village, tout le monde l’appelait Ernest Voitout.

            - A quinze ans, au lycée de Bellecombe, vous avez conçu une pensée impie pour votre camarade de classe Delphine...

            Mais Aristide Mulet n’écoutait plus, ses deux doigts flanqués dans les oreilles. A un moment cependant, comme une envie irrépressible d’éternuer lui caressait les narines, et qu’il cherchait vainement un mouchoir dans la poche de son pyjama, il entendit cette phrase : « En vertu de quoi, je vous condamne à la vie éternelle... Allez ! redescendez sur terre, parmi vos dissemblables ». Et le grand-père s’en alla, en maugréant dans sa barbe : « Tous des relaps, des mécréants... ».

*****

Sur terre, dans ce lit près duquel une famille attendait depuis des heures, le vieillard ouvrit les yeux et cria, une fois revenu à lui :

            - Ne me laissez pas mourir... Il y a un dingue, là-haut, qui en veut à ma peau, il connaît tout sur moi... Non, je ne veux pas y aller, je veux rester ici...

            La famille s’observa bêtement, sans comprendre.

- Je vous en conjure, reprit Mulet, faites que je ne... une contraction subite secoua tout son corps... meures.

            Et Mulet rendit l’âme sur ses paroles sibyllines, sans même terminer sa phrase. Dieu seul sait où il peut bien errer maintenant, chassé du Paradis.

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